dimanche 30 mai 2010

Archive, groupe post-moderne

Je vous propose aujourd'hui un petit retour (très subjectif) sur la carrière d'Archive - plus grosse tête d'affiche de Solidays si vous voulez mon avis. Difficile de résumer l'histoire de ce groupe tant sa musique et sa composition ont évolué depuis 15 ans.

Trip-hop en force
Au départ, on a donc deux jeunes londoniens, Darius Keeler and Danny Griffiths, qui décident de s'incruster dans la fête électro-depressive du trip-hop, dont Massive Attack, Tricky et Portishead sont alors les MCs. Ils achètent des samplers, emploient une chanteuse très soulful et boivent probablement beaucoup de whiskey. Le résultat est le précieux album Londinium, sorti en 1996, et qui reste assez scandaleusement sous-estimé. Textures synthétiques, voix féminines planantes, rythmique hip-hop : cet album riche, cérébral, soigné et envoûtant, porte fortement l'empreinte de son époque.

En témoignent les deux superbes chansons ci-dessous, Nothing Else, qui semble échappée du premier album de Portishead tant elle est belle et poignante, et Darkroom, aux influences hip-hop plus marqués. Tout cela n'est pas très joyeux me direz-vous mais bon, on ne peut pas non plus écouter Fatal Bazooka toute la journée hein.


Le chef d'œuvre
Après un 2e album dans la même veine, Take My Head, que je connais très mal (honte sur moi), les deux membres fondateurs virent tous leurs musiciens et chanteuses, rentrent dans une espèce d'hibernation et, quelques démos en main, tel un vulgaire groupe de lycée, passent une annonce dans un magazine musical pour recruter un chanteur. L'heureux élu est Craig Walker et l'heureux résultat est le superbe You All Look The Same To Me, sorti en 2002.

Et là, on marque une pause et on écoute religieusement Again, la miraculeuse chanson qui ouvre cet album. Aaaaaaah ... (râle de plaisir). Et pourtant, et pourtant, sur le papier, cette chanson était vraiment casse-gueule avec sa durée hallucinante (16 minutes), son penchant vers le rock progressif (pouah !) et son ambition démesurée. Oui, tout cela aurait pu donner un gros magma boursouflé et ultra-prétentieux et non le chef-d'œuvre, l'instant classic (comme disent les anglais) que cette extraordinaire chanson est devenue.


Mon top 3 des meilleurs moments de cette chanson
  • Toute l'intro voix/guitare et plus précisément la mélodie IMPARABLE, à 1'20, de la phrase "If I was to walk away / From you my love / Could I laugh again ?". A vous tirer des larmes dis-je (et pour info, ce passage était dans la BO de la série Clara Sheller, si si).

  • L'arrivée d'une ligne-de-basse-qui-tue à 5 minutes, frayant son chemin parmi des violons poignants et qui vous fait vous rendre compte que la chanson n'est pas juste magnifique mais également très innovante.

  • Le solo d'un instrument non identifié (guitare ? euh ... harmonica ?) à 6'30 qui emmène la chanson sur des terrains ouvertement psychédéliques qui vous rappelleront probablement vos vacances sous LSD en 1972

A propos de LSD, Again est évidemment sous influence directe de Pink Floyd. Dans sa construction, la chanson à laquelle elle s'apparente le plus est selon moi Atom Heart Mother, sur l'album du même nom. On y retrouve la même dilatation du temps, la même déconstruction du schéma classique couplet/refrain, le même sens de la mélodie, en bref, la même géniale ambition flirtant toujours avec un certain rock pompier sans jamais s'y vautrer.

A côté d'Again, on trouve de très belles chansons sur cet album fondamental : Goodbye, tout en douceur, l'atmosphérique Seamless ou encore Meon, sorte de complainte psyché du mal-aimé à la mélodie si poignante. Et si on ajoute à tout cela une pochette d'album très maligne et noire, on a tout simplement avec You All The Same To Me un des albums les plus importants de la décennie. J'insiste !

La suite
Bon, la charmante équipe de Solidays m'a dit qu'il ne fallait pas faire des articles trop longs donc je vais un peu expédier la suite de la carrière d'Archive. Ils réalisent en 2003 la BO de Michel Vaillant, qui souffrira quelque peu de la nullité sidérante du film et aura bien du mal à se faire connaître, malgré quelques bons morceaux. En 2004, après l'album Noise, bis repetita, ils virent leurs chanteurs et musiciens (je soupçonne qu'ils ne doit pas être très facile de collaborer avec ces deux gars) et se redéfinissent d'ailleurs en "collectif' plutôt qu'en groupe au line-up arrêté.

En 2006 sort l'album Lights, qui aura un certain succès en France (étonnamment, ce groupe reste assez sous-estimé dans son propre pays, l'Angleterre) et dont le morceau-phare, nommé Lights également, est à nouveau un long morceau de bravoure, bourré de qualités mais n'atteignant pas selon moi la perfection de Again sus-mentionné. Le voici ci-dessous. Allez, soyons honnête, c'est quand même de très, très, haute volée - et pas très éloigné de Radiohead.

Le grand retour en force d'Archive est à mettre au compte de leur album Controlled, sorti l'année dernière sous les vivats (relatifs) de la critique et du public. Toujours assez ambitieux, cet album est pour moi le plus rock et le plus adapté à la scène. Le superbe Bullets, ci-dessous, est probablement le morceau le plus efficace et devrait faire shaker du booty de festivalier.



Se remettant perpétuellement en cause, changeant régulièrement de formation, naviguant entre le rock et le l'électro et leurs sous-genres respectifs (prog-rock, rock psyché, trip-hop, ambiant), Archive réussit le paradoxe d'être à la fois précurseur et suiveur. Leur musique, hybride, hypnotique, mutante est pour moi assez symptomatique d'une époque où les frontières musicales sont devenues particulièrement poreuses. C'est en ce sens qu'on peut qualifier ce groupe de post-moderne. Enfin, je crois. Quoiqu'il en soit, toute cette complexité et tout ce talent rendent leur concert à Solidays complètement inratable. Je compte sur vous !

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